De loin, la forêt, la grande forêt, forme un infini, un continent où couve une inquiétude ancienne. Elle peut intimider, épouvanter aussi. Passer outre craintes et tremblements et participer à la cérémonie qui s’y ordonne. À l’approche de ce nuage d’ombres s’élève la beauté, celle des cathédrales d’avant les hommes, celle des bêtes antiques. Au bout du chemin du regard, se perdent la confusion des lisières, le treillis des épaisseurs de feuillages et des nouvelles pousses de printemps. Il n’est plus question de revenir sur ses pas ; l’attrait grandit, je me hâte. Sauter un fossé, remonter la courte pente d’un talus, traverser les fouillis des ramures, s’égratigner : je me déracine, je me grise, je m’abstrais des souvenirs. Une fois passées les mailles couturées des taillis de ronciers à mûres qui enfoncent dans la terre leurs rameaux pour se reproduire, l’on parle bas, comme par crainte d’être surpris lors d’un échange secret. Ici est le lieu de la confidence sans éclats de voix. J’entre en résonance, je reçois la forêt comme une grâce. À ce moment tout bascule, un frisson froid parcourt l’échine, le cœur bat plus vite, la gorge se noue. L’agitation vous porte et ce que vous ressentez devient inexprimable. Sous les feuillées, le promeneur part pour un voyage sans retour.