Vergil und der Geruch des Großen Brandes

C’est le 16 Juillet je scrute le Journal du Ciel. Je note le nom de ce jour, ce matin il vit encore. Dans quelques jours, une semaine, au plus tard, il ne sera plus, j’aurai oublié son nom, je ne saurai plus son âge. En hâte prudente je l’inscris dans sa fraîcheur de 16 Juillet, il est 5 h 30, je vois une étoile, seule, nue, pure, un infime trou de lumière dans les ténèbres. Scintille comme le clin d’œil de l’actualité, un pétillement d’En-Haut. Seule mon imagination peut croire entendre l’Ukraine agoniser à l’Ouest. Je ne l’exerce pas. L’étoile et moi nous nous parlons. Je suis dans l’état de la disciple d’un Virgile du tout premier siècle des apocalypses, qui reçoit une lettre céleste.

Weiterlesen

Sprache von Phrasen und leeren Wörtern befreien

Paul eût préféré rester allongé jusqu’à ce que la faim l’emportât, plutôt que s’arracher à la torpeur, cette pleine conscience de lui-même qu’il goûtait enfin. Il n’était pas seul ; il était habité par l’univers ; chaque grain de poussière avait un sens ; les vers de terre étaient à leur place (les vers de terre étaient superbes, tout comme les scarabées, les fourmis, les champignons molletonneux) ; les oiseaux chantaient des psaumes ; les étoiles révélaient son destin : tout semblait parfait – sitôt qu’il eut fait abstraction des hommes. Peut-être était-ce vrai, les hommes étaient les gardiens de l’enfer des autres hommes qui leur servaient eux-mêmes de geôliers.

Weiterlesen

Diese kaum entworfenen Geschöpfe der Maler

On les distingue à peine tant ils sont petits, au fond de cette majestueuse allée bordée d’immenses cyprès. Sont-ils vraiment là, si infimes dans ce décor qui les écrase ? Et pourquoi le dessinateur a-t-il voulu leur donner cette vie, pour minuscule qu’elle soit ? Entendait-il, de ces silhouettes tout juste identifiables, faire des créatures humaines, des personnages ?

Weiterlesen

Proust selbst auf einem alten, knisternden Grammophon

Les mondes mettent longtemps à mourir, plus encore à disparaître tout à fait. Ils cohabitent plutôt, se superposent et traînent dans le temps. Ils se prolongent et s’éternisent, par la voix des témoins qui, de récits en conversations, de souvenirs en affabulations, passent le relais, dans un chant en canon qui se perd en échos interminables. Dès l’adolescence, j’ai aimé me trouver dans l’orbe de gens âgés, très âgés parfois, dont la façon de parler, les expressions, les intonations venaient d’une autre époque. Il me semblait que, par eux, je pouvais entendre le passé, seule façon de lui donner corps et, partant, de l’imaginer. Le fétichisme de ma quête s’accommodait d’approximations. Je me souviens d’un ami de mon père, le critique de cinéma Jean Domarchi, imitant Baudelaire, ou plutôt reproduisant l’imitation entendue de quelqu’un qui avait connu le poète… Baudelaire réincarné dans l’embrasure du salon ! Je vérifie sur Internet : Jean Domarchi est mort en janvier 1981. J’avais, au mieux, treize ans lorsque je l’ai entendu déclamer, mais je jure me souvenir comme hier de sa diction un peu sinueuse, sévère, comme retenue, corsetée, filtrant de lèvres quasi closes. La bouche de Baudelaire, sur la photographie de Carjat.

Weiterlesen

Die Zeit mit den Materialien der Zeit reparieren

Alice Guy, Les Résultats du féminisme (1906)

Au fil de ses recherches, Constance a découvert que le destin des films d’Alice Guy n’est pas une exception. On estime que les deux tiers des pellicules des quinze premières années du cinéma ont disparu. En nitrate de cellulose, elles sont hautement inflammables et le gaz qu’elles dégagent les rend explosives. Plus une pellicule vieillit et s’endommage, plus sa température d’autocombustion baisse. « Films flammes », des désastres en puissance. Leur conservation est délicate mais qu’importe, il n’était pas question de les épargner à l’époque. Les films étaient avant tout des produits de consommation ; le public veut de la nouveauté, on recycle les sels d’argent et la cellulose pour en faire d’autres films, on détruit les pellicules pour libérer de la place.

Weiterlesen

Warten auf Yoann: Laurent Mauvignier, Proches

Im Jahr 2023 erscheinen gleich zwei Romane von Laurent Mauvignier auf Deutsch: sein 500 Seiten starker Roman „Histoires de la nuit“ (2020), außerdem „Des hommes“ (2009). In beiden Fällen problematische Familienarrangements, ebenfalls 2023 kommt Mauvigniers Theaterstück „Proches“ auf die Bühne: ein Sohn, dessen erwartete Rückkehr die Familie zerstören oder enthüllen könnte, wie bei Aischylos, Pasolini, Molière oder Lagarce. Ein Stück aber auch über das Schreiben und die Sprache für die Bühne.

Cultiver mon jardin

« Ver de terre, d’abord, ce n’est pas très gentil comme nom, c’est fait pour blesser. Il vaut mieux parler de lombrics pour leur redonner un peu de dignité scientifique. Famille : lombricidae. Espèce : lombricus terrestris. Et ces lombrics représentent la première biomasse animale terrestre. Autrement dit, si on les met tous sur une balance, ils pèseront plus lourd, et de loin, que les Homo sapiens, les éléphants et les fourmis réunis. Pour donner un ordre de grandeur, il y en a entre une et trois tonnes à l’hectare, en tout cas dans les sols où l’homme n’a pas posé ses sales pattes. »

Weiterlesen

Schließlich ist das hier nicht wirklich Marokko

Elle s’est interrompue, a fait bouger lentement la pierre la plus proche d’elle dans la poussière, avant de reprendre :

— Au fond, ça veut dire quoi toujours ? Tu sais, ici tout le monde pense que la ville n’appartient à personne, que c’est différent du reste du pays. Et c’est vrai, parce que Tanger est spéciale, elle semble libre, différente, grouillante, pleine de tapages et d’arcanes. Mais si tu écoutes un peu autour de toi, tu verras qu’il y a une autre vérité qui commence à éclore.

Weiterlesen

Jeder weiß, dass Adolf Hitler Selbstmord begangen hat

Todd s’écarte, à regret, Solange s’engouffre dans la rue, et s’éloigne rapidement. Derrière elle, elle aperçoit Todd qui, de l’embrasure de la porte d’entrée du Mirando, la suit du regard. Il lui a fait un signe de salut de la main ; un signe qu’elle prend pour une menace.

Solange accélère le pas.

Adolf Hitler ?

Weiterlesen

Ein Auge in die Kamera und ein Auge auf mich

À vingt-deux ans, j’ai passé une année entière à regarder un des films de Wiseman dans ses moindres détails pour écrire un mémoire sur l’image et le réel. Welfare. Littéralement, l’aide sociale, filmée dans un centre new-yorkais, le Waverly Center. Je connaissais par cœur certains dialogues, j’avais l’impression d’une intimité avec les personnages, je me désespérais de ne pas savoir ce qui leur arriverait une fois sortis du centre, où ils dormiraient, s’ils finissaient par se pendre ou par trouver des amis chez qui passer quelques jours, s’ils étaient là à nouveau le lendemain.

Weiterlesen

Ein besseres Gedächtnis als wir: Mathias Énard, Déserter

Mathias Énard schreibt über einen fiktiven ostdeutschen Mathematiker, der seinen KZ-Aufenthalt in Buchenwald und seine Liebe dichtend bewältigt und über einen Kriegs-Deserteur, der durch die Wildnis aus seinem Land flieht: 1. Vibrationen aus Odessa – 2. Gespenster in Weimar – 3. Konjekturen und Metafiktion

Der goldene Mann des französischen Chansons

Jean-Jacques Goldman tient beaucoup à son nom. Il n’a jamais envisagé d’en changer, même lorsque ses producteurs le lui ont suggéré au début de sa carrière. Au micro de NRJ, dans les années 1980, il déclare avec simplicité : « Je m’appelle Jean-Jacques Goldman. C’est le nom que mes parents m’ont donné, alors je l’ai gardé. » Et plus tard, dans Tribune juive : « Je m’appelle Goldman. Quand on me demande quelles sont mes origines, […] je dis que je suis fils de Juif polonais et de Juive allemande. »

Weiterlesen

Glitzertanga und Kruzifix: Romy bei Odette

Seize heures cinquante. Grand soleil place Gustave-Toudouze. À mi-chemin entre Pigalle et Saint-Georges, cette place est une frontière entre la zone des sex-shops, des putes et des camés, et celle des théâtres, de la bourgeoisie, des chérubins blonds. Trois bancs, un kiosque, des lampadaires anciens, style lanternes, une fontaine Wallace, une colonne Morris, des marronniers, cinq restaurants. C’est ici, au numéro 2, qu’habite Odette Steiner, née en 1921 à Chaumont. Odette a connu la crise de 1929, la Seconde Guerre mondiale, le Front populaire, l’exode, l’Occupation, le droit de vote des femmes, l’épidémie de polio, la bataille de Diên Biên Phu, la guerre d’Algérie, Mai 68, la pilule, la légalisation de l’avortement, Mitterrand, Tchernobyl, l’apparition du sida, l’an 2000. Elle a enterré ses parents et ses trois frères. Il ne lui reste plus que sa petite-nièce qui vit à l’étranger. Je sais par Alexandra qu’Odette a fait partie de la chorale de Notre-Dame-de-Lorette, d’un atelier de mosaïque et d’un club équestre. Elle participait activement à la vie du 9e arrondissement en envoyant des lettres à la mairie avec ses recommandations, suggestions ou plus souvent des critiques. Désormais elle ne sort plus guère. Doyenne de son immeuble, elle n’hésite pas à rappeler les règles de vie en communauté à ses voisins. D’après Alex, avec sa tante, faut filer droit. La vieille femme a du caractère, ce n’est pas simple de se la mettre dans la poche.

Weiterlesen

Lügen, weil die Realität zu klein ist

Patou ment. Un engrenage dont il n’a pas pu s’extirper. Au départ un oubli infime, il a cru voir un détail qui n’existait pas, une possibilité, une confiance dans une personne, une entreprise, un lien, un développement, des éléments qui se sont enchaînés.

Weiterlesen

Der Winter brachte mir dieses Überbewusstsein meines Seins

Les hivers qui suivirent furent, en un sens, ceux que j’avais toujours attendus. L’expérience inédite d’une solitude radicale, le défi que je me fixais désormais chaque année, avec un frisson de plaisir, quand tombaient les premiers flocons devant intensifier ma réclusion. La route étouffée sous une neige durcie nuit après nuit par d’intenses froids constituait la muraille impénétrable de mon château. J’aurais pu demander à la municipalité de monter jusqu’à ma colline pour y saler la route, la rendant ainsi accessible, me permettant de me rendre au village pour y faire mes courses. Mais je ne le fis pas. Je me réjouissais, secrètement, de transformer la Maison en palais de glace, me donnant l’impression d’être absolument seule au monde, dans cette campagne blanche et vide où craillait, de temps à autre, un corbeau solitaire. Le silence profond des bois enneigés, les plaines uniformes qui se déroulaient au pied de la colline, annihilaient complètement l’existence des autres. J’étais véritablement, durant ces hivers terribles, la seule maîtresse du monde qui m’entourait. L’hiver agissait comme un charme, et nous laissait seules, la Maison et moi.

Weiterlesen

Ein Stück der französischen Geschichte, intellektuell beschlagnahmt

J’ai fini le tarama en l’étalant sur un pain italien vieux de plusieurs jours. À un moment, je suis tombé sur une tranche avec une tache ovale et noire. J’ai quand même tartiné.

Ce jour-là, à la télé, une chaîne que je ne regardais jamais rediffusait ses émissions de la semaine. Depuis quelques années, on en parlait tellement dans les médias que j’ai décidé de prendre mon repas devant l’une de ces émissions.

Sur le plateau télé, deux historiens revenaient en longueur sur l’histoire de Jeanne d’Arc. Elle n’avait jamais emmené paître les moutons comme le montrait le tableau qui défilait à l’écran, mais elle était une fille de laboureur, ce qui n’était pas tout à fait la même chose. Elle avait une mère très pieuse, qui semblait être à l’origine du mysticisme qui infuserait par la suite en elle. Les Anglais occupaient une bonne partie de la France actuelle, les Bourguignons aussi, et « les vrais Français », les duchés, de mémoire, avaient du mal à accorder leurs violons pour faire front contre l’ennemi qui les dévorait petit à petit. S’ensuivaient les différents tests que Jeanne d’Arc avait passés pour obtenir sa légitimité : passage devant un curé exorciste, déjouer le subterfuge du dauphin qui s’était caché dans la foule et qui avait placé sur son trône un de ses courtisans. Mais cela n’avait pas dupé Jeanne d’Arc.

Weiterlesen

Monumentalfilm von Maden, Julius Cäsar in der Mitte

Et ces inscriptions, là devant lui : crevez.

c-r-e-v-e-z.

Un mètre sur deux. Ce sont bien des moucherons que l’on avait écrasés sur le mur pour y inscrire ces lettres immenses. Insecte par insecte. Un retour primitif, celui du sang comme pigment. Cette matière visqueuse, violacée et cramoisie. Il fallut s’approcher et constater les aplats noirs des cadavres, éclatés et collés à jamais. Des centaines d’entre eux. De petits amas de mucus pâteux, pareils à des taches d’encre. De sang et de moucherons, donc, c’est ainsi que l’on pourrait plus tard résumer son séjour dans ce taudis.

Weiterlesen

Hybride Objekte, die mit den Genres spielen: Scribes

Gallimard hat eine neue Reihe begründet, „Scribes“ – betreut von Clément Ribes, der vorher Herausgeber beim Verlag Christian Bourgois war: „Romane, die uns durch das, was sie erzählen, aber auch durch ihren Stil berühren. Vorschläge, die neue Wege eröffnen. Räume, die als Labor dienen. Hybride Objekte, die mit den Genres spielen. Die Pluralität der Ästhetiken.“

Eine neue Art, getrennt zu leben

Maintenant, ce qui frappe le plus, en remontant la rue des Couronnes, c’est sa césure, très nette. C’est sa séparation qui donne naissance à deux pays distincts. C’était là depuis le départ sans que j’y prête attention, déjà ça nous désignait. Ça survient juste après que la rue a croisé le tracé de la Petite Ceinture, l’ancienne ligne de train qui jadis effectuait le tour de Paris. La rue agrège des contrées étrangères l’une à l’autre avec une indifférence docile, une arrogance désintéressée. Comme c’est étrange, c’est devenu parfaitement anodin. Les deux mondes s’ignorent, nul ne semble en souffrir. C’est une nouvelle manière de vivre, séparément. On n’avait jamais vu cela avant.

Weiterlesen