Der Winter brachte mir dieses Überbewusstsein meines Seins

Les hivers qui suivirent furent, en un sens, ceux que j’avais toujours attendus. L’expérience inédite d’une solitude radicale, le défi que je me fixais désormais chaque année, avec un frisson de plaisir, quand tombaient les premiers flocons devant intensifier ma réclusion. La route étouffée sous une neige durcie nuit après nuit par d’intenses froids constituait la muraille impénétrable de mon château. J’aurais pu demander à la municipalité de monter jusqu’à ma colline pour y saler la route, la rendant ainsi accessible, me permettant de me rendre au village pour y faire mes courses. Mais je ne le fis pas. Je me réjouissais, secrètement, de transformer la Maison en palais de glace, me donnant l’impression d’être absolument seule au monde, dans cette campagne blanche et vide où craillait, de temps à autre, un corbeau solitaire. Le silence profond des bois enneigés, les plaines uniformes qui se déroulaient au pied de la colline, annihilaient complètement l’existence des autres. J’étais véritablement, durant ces hivers terribles, la seule maîtresse du monde qui m’entourait. L’hiver agissait comme un charme, et nous laissait seules, la Maison et moi.

J’étais une ombre, en hiver. L’ombre d’une goule, d’une harpie, d’une banshee, que sais-je, une créature qui ne sait plus si elle vit. Les repas pris seule, le grand silence de la Maison vide, le cliquetis des radiateurs, un gargouillis dans mon ventre, tout devenait et plus bruyant et plus silencieux. Les bruits de la Maison me paraissaient des bruits organiques et mon souffle me semblait mécanique, calculé, artificiel. Je n’avais personne à écouter, alors je m’arrêtais parfois, saisie d’un doute stupide, et mesurais mon pouls, surveillais ma respiration. J’avais soudain peur d’être devenue un esprit, sans m’en être aperçue, d’avoir glissé sans un bruit dans l’inexistence. Je surprenais mon reflet dans les glaces et je me trouvais laide, affreuse, vieille. Je me disais que si je m’étais vue ainsi, petite fille, j’aurais cru voir une sorcière, et je riais de stupeur en palpant ma peau raide. Mes joues creusées, mes mains froides, mes lèvres bleuies me captivaient. C’était donc elle, cette Isadora Aberfletch adulte, à laquelle j’avais songé parfois, enfant, allongée dans mon lit. Vieillir ne m’avait jamais fait peur, mais j’étais curieuse. À quoi ressemblerais-je, mes cheveux seraient-ils d’un gris sale ou d’un blanc lumineux ? Me voir, à présent vieille, est toujours étrange. Je me regarde et je ne retrouve plus comment j’étais, petite fille. Je peux bien sûr faire un travail mental pour effacer mes rides, remplir mes joues, égayer mes yeux, pour tenter de me souvenir de mes traits d’avant. Mais c’est toujours une mystification, il n’y a qu’un flou rosé, un mensonge de candeur. La vérité c’est qu’on ne se souvient pas de notre visage. On le reconstitue imparfaitement tout comme, enfant, l’on s’amuse devant le miroir à s’imaginer plus vieux, et qu’on se fronce la peau. Mais je, je, je, je m’abrutis de moi-même, je me boursoufle. Depuis que je vis seule à la Maison et que le « nous » a cessé, et encore davantage maintenant que je suis dans cet institut, le je est omniprésent et je ne le supporte plus. J’étais tellement plus heureuse quand j’avais autre chose à observer que moi-même.

L’hiver m’apportait cette hyper-conscience de mon être, cette altérité du corps, cette étrangeté. La neige éblouissait comme le vertige des pensées trop profondes, des idées sans plaisir. Je me complaisais dans un état de solitude tellement intense que j’oubliais que la Maison était habitée, même par moi. Je riais de me voir vaciller aux bords de la raison, consciente du blanc perçant qui, tout autour, vrillait mes tempes, du silence opaque qui assourdissait mes tympans.

Je crois cependant que j’aimais être seule. Je pouvais explorer d’autres êtres à soi. Certains jours, j’étais reine. La Maison m’appartenait tout entière, un bon feu brûlait dans la cheminée, et les conduits qui s’entrecroisaient dans les étages convoyaient une forte chaleur, vive, piquante, à goût de pin. Les parois vibraient d’une tiédeur intime, j’allumais toutes les petites lumières, et c’était alors un grand ruissellement de jaunes dans les pièces tamisées. Les abat-jour laissaient filtrer une tranquille lumière orange et semblaient palpiter, champignons lumineux dressés sur les guéridons. Les lustres, écaillés de champagne, brillaient comme les gorges chaudes de dragons miniatures. Mon palais était rutilant, il y faisait bon vivre, tout chaud comme ça, un repaire universel contre le froid du ciel. J’étais seule survivante d’une nuit sans fin. Je me sentais fière, capable de vivre sans personne, sans ceux de mon espèce, juste avec le bois brun du parquet, les lourds rideaux qui chauffaient les fenêtres, et les ampoules incandescentes. Je régnais sur tout ce petit mobilier avec une majesté d’impératrice, et j’empruntais la dernière des pelisses de la grand-tante Babel pour m’en draper les épaules. La transformation était complète. Sur mon corps de quinquagénaire, sur mes hanches flasques déjà sans même avoir porté la vie, les pans d’hermine battaient comme un tambour. J’appréciais la pesanteur des bêtes mortes sur mon dos. Je marchais à pas lents de bout en bout dans la Maison, et la traîne de fourrure me suivait comme un lourd serpent louvoyant. Bêtes fauves, bois de camphre, pin qui brûle et pain qui fume, j’emplissais la Maison de chaleur et de lumières. J’en étais la force vitale, l’organe palpitant dans un thorax de charpentes et de pignons.

Perrine Tripier, Les guerres précieuses (Gallimard, 2023).
 

Die folgenden Winter waren in gewisser Weise die Winter, auf die ich immer gewartet hatte. Die neue Erfahrung radikaler Einsamkeit, eine Herausforderung, der ich mich von nun an jedes Jahr mit einem Schauer der Freude stellte, wenn die ersten Schneeflocken fielen, die meine Zurückgezogenheit noch verstärken sollten. Die Straße, die unter dem Schnee erstickte, welcher durch die extreme Kälte Nacht für Nacht hart geworden war, bildete die undurchdringliche Mauer meines Schlosses. Ich hätte die Stadtverwaltung bitten können, auf meinen Hügel zu fahren, um mit Salz die Straße zu streuen und sie so zugänglich zu machen, damit ich ins Dorf fahren und dort einkaufen konnte. Aber ich tat es nicht. Insgeheim freute ich mich darauf, das Haus in einen Eispalast zu verwandeln und mir das Gefühl zu geben, absolut allein auf der Welt zu sein, in dieser weißen, leeren Landschaft, in der ab und zu ein einsamer Rabe krächzte. Die tiefe Stille der verschneiten Wälder und die gleichförmigen Ebenen, die sich am Fuße des Hügels erstreckten, machten die Existenz anderer Menschen völlig zunichte. In diesen schrecklichen Wintern war ich wirklich die einzige Herrin der Welt um mich herum. Der Winter wirkte wie ein Zauber und ließ das Haus und mich allein.

Im Winter war ich ein Schatten. Der Schatten eines Ghouls, einer Harpyie, einer Banshee, was weiß ich, eine Kreatur, die nicht mehr weiß, ob sie lebt. Die allein eingenommenen Mahlzeiten, die große Stille im leeren Haus, das Klirren der Heizkörper, ein Gurgeln in meinem Bauch, alles wurde lauter und leiser. Die Geräusche im Haus erschienen mir wie organische Geräusche und mein Atem erschien mir mechanisch, kalkuliert, künstlich. Ich hatte niemanden, dem ich zuhören konnte, also blieb ich manchmal stehen, von törichten Zweifeln gepackt, und maß meinen Puls, überwachte meine Atmung. Ich hatte plötzlich Angst, dass ich unbemerkt zu einem Geist geworden war, dass ich lautlos in die Nichtexistenz geglitten war. Ich erwischte mein Spiegelbild im Spiegel und fand mich hässlich, schrecklich, alt. Ich dachte, wenn ich mich als kleines Mädchen so gesehen hätte, hätte ich geglaubt, eine Hexe zu sehen, und ich lachte verblüfft, als ich meine steife Haut abtastete. Meine eingefallenen Wangen, die kalten Hände und die bläulichen Lippen fesselten mich. Das war sie also, diese erwachsene Isadora Aberfletch, an die ich als Kind manchmal gedacht hatte, als ich in meinem Bett lag. Das Älterwerden hatte mir nie Angst gemacht, vielmehr war ich neugierig. Wie würde ich aussehen, würde mein Haar schmutzig grau oder strahlend weiß sein? Mich jetzt als alte Frau zu sehen, ist immer noch seltsam. Ich schaue mich an und kann nicht mehr erkennen, wie ich als kleines Mädchen war. Ich kann natürlich die geistige Anstrengung machen, indem ich meine Falten wegwische, meine Wangen auffülle, meine Augen aufhelle, und versuche, mich an meine früheren Gesichtszüge zu erinnern. Aber das ist immer eine Mystifikation, es gibt nur eine rosige Unschärfe, eine Lüge der Schamlosigkeit. Die Wahrheit ist, dass wir uns nicht an unser Gesicht erinnern können. Wir rekonstruieren es nur unvollkommen, so wie wir uns als Kinder vor dem Spiegel älter vorstellen und unsere Haut runzeln. Aber ich, ich, ich, ich stumpfe mich selbst ab, ich blase mich auf. Seit ich allein zu Hause lebe und das „wir“ aufgehört hat, und noch mehr jetzt, wo ich in diesem Institut bin, ist das „ich“ allgegenwärtig und ich kann es nicht mehr ertragen. Ich war so viel glücklicher, wenn ich etwas anderes zu beobachten hatte als mich selbst.

Der Winter brachte mir dieses Überbewusstsein meines Seins, diese Andersartigkeit des Körpers, diese Fremdheit. Der Schnee blendete wie der Schwindel von zu tiefen Gedanken, von lustlosen Ideen. Ich schwelgte in einem Zustand der Einsamkeit, der so intensiv war, dass ich vergaß, dass das Haus bewohnt war, und sei’s nur von mir. Ich lachte darüber, dass ich am Rande der Vernunft ins Schwanken kam und mir des stechenden Weiß bewusst war, das rundherum an meinen Schläfen zerrte, und der undurchdringlichen Stille, die mein Trommelfell betäubte.

Ich glaube jedoch, dass ich gerne allein war. Ich konnte andere Wesen erforschen, die mir gehörten. An manchen Tagen war ich Königin. Das Haus gehörte mir ganz allein, im Kamin brannte ein schönes Feuer und die Schächte, die sich in den Stockwerken kreuzten, sorgten für eine starke, lebhafte, stechende, nach Kiefer schmeckende Hitze. Die Wände vibrierten in einer heimeligen Wärme, ich schaltete alle kleinen Lichter an, und dann flutete ein großes Strömen von Gelb die gedämpften Räume. Die Lampenschirme ließen ein ruhiges orangefarbenes Licht durchsickern und schienen zu pulsieren, leuchtende Pilze, die auf den Beistelltischen standen. Die Kronleuchter, die champagnerfarben abblätterten, glänzten wie die warmen Kehlen von Miniaturdrachen. Mein Palast war glänzend, es war gemütlich, so warm wie er war, ein universeller Zufluchtsort vor der Kälte des Himmels. Ich war die einzige Überlebende einer endlosen Nacht. Ich fühlte mich stolz, dass ich ohne Menschen leben konnte, ohne meinesgleichen, nur mit dem braunen Holz des Fußbodens, den schweren Vorhängen, die die Fenster wärmten, und den leuchtenden Glühbirnen. Ich herrschte über all diese kleinen Möbel mit der Majestät einer Kaiserin und lieh mir den letzten der Pelze von Großtante Babel, um ihn mir über die Schultern zu ziehen. Die Verwandlung war komplett. Auf meinem Körper in den Fünfzigern, auf meinen Hüften, die schon schlaff waren, ohne das Leben getragen zu haben, schlugen die Hermelinbahnen wie eine Trommel. Ich genoss die Schwere der toten Tiere auf meinem Rücken. Ich ging mit langsamen Schritten durch das Haus, und die Pelzschleppe folgte mir wie eine schwere, kriechende Schlange. Mit wilden Tieren, Kampferholz, brennender Kiefer und rauchendem Brot füllte ich das Haus mit Wärme und Licht. Ich war die Lebenskraft, das pulsierende Organ in einem Brustkorb aus Balken und Giebeln. 1

Kai Nonnenmacher

Kontakt

Anmerkungen
  1. „Eine Frau, die von einem goldenen Familienzeitalter verfolgt wird, beschließt, ihr ganzes Leben in dem großen Haus ihrer Kindheit zu verbringen, das einst so voller Freude war. Dennoch muss sie sich irgendwann der Außenwelt stellen. Bevor sie sich endgültig für den Frieden entscheidet, führt sie uns in das Labyrinth ihres Gedächtnisses, indem sie wie eine Aquarellmalerin ihre Erinnerungen nach Jahreszeiten ordnet. Was bleibt vom Frühling, Sommer, Herbst und Winter eines Lebens?“ Übers. der Verlagsankündigung.>>>