Paul eût préféré rester allongé jusqu’à ce que la faim l’emportât, plutôt que s’arracher à la torpeur, cette pleine conscience de lui-même qu’il goûtait enfin. Il n’était pas seul ; il était habité par l’univers ; chaque grain de poussière avait un sens ; les vers de terre étaient à leur place (les vers de terre étaient superbes, tout comme les scarabées, les fourmis, les champignons molletonneux) ; les oiseaux chantaient des psaumes ; les étoiles révélaient son destin : tout semblait parfait – sitôt qu’il eut fait abstraction des hommes. Peut-être était-ce vrai, les hommes étaient les gardiens de l’enfer des autres hommes qui leur servaient eux-mêmes de geôliers.
Les passants avaient des airs de kapos, des airs mesquins qui n’attendaient que l’occasion de se muer en sadisme pur. L’animosité était palpable ; les uns haïssaient les autres ; on leur avait tant dit que c’était chacun pour soi. Les familles se déchiraient ; les fratries n’avaient aucun sens ; les gamins préféraient leurs copains à leurs cousins – l’idée même de famille était suspicieuse. Il y avait dans les bus des affichettes pour demander de parler au chauffeur avec courtoisie.
Il n’y eut pas de révolte, encore moins de spectacle : il était impossible à Paul de revêtir un tee-shirt « Puis-je vous aider ? », y épingler une petite plaque rutilante, affronter le dehors, l’air acide et les rues hostiles pour s’engouffrer dans un train de banlieue grinçant, y supporter les odeurs de pisse et de sueur, endurer les conversations des usagers, prendre dans la gueule les lumières trop vives de leurs téléphones, les observer jouer à compléter des grilles de lettres masquées toutes les dix secondes par des réclames pornographiques. Il ne ressentait aucune culpabilité. Il était remplaçable ; l’humilité le rendait libre : aucune machine ne se gripperait en son absence, aucune chaîne logistique ne serait brisée. On ne le manipulerait pas par l’ego.
Paul ne consulterait pas un psychologue. Ce n’était nullement un déraillement psychique, un délire ; il avait, au contraire, compris que l’intelligence voulait qu’il changeât de trajectoire. Il ne trouvait rien à reprocher à ses parents. Son enfance avait été douce et façonnée dans l’affection ; il avait poussé sur un îlot de tendresse. Il ne comptait pas payer quelqu’un qui lui eût trouvé des circonstances atténuantes ; il n’avait nul crime à se faire pardonner ; il n’y avait rien à justifier.
Il aspirait à ne rien faire, sentir le passage du temps, lire de la poésie, boire son café à petites gorgées, marcher à son rythme sans regard rivé sur le poignet, récupérer son esprit parasité par les logiciels, les identifiants et les mots de passe. Dépolluer son langage des phrases toutes faites et des mots creux afin de redonner un sens à la parole. Il n’avait pas besoin d’un psy qui l’eût aidé à enfouir ce qui lui déplaisait pour retourner heureux au travail ou à la pêche au poste de maître de conférences. Se sentir seul face à des bacheliers narquois, non, il n’avait pas soutenu sa thèse pour corriger des copies d’illettrés inscrits en troisième année de licence. Il ne voulait plus rien. Cela était tout sauf dramatique.
Les années avaient défilé dans une valse sans grâce de petits boulots exténuants, d’amourettes sans élan, de soirées sur le canapé à attendre le sommeil et de lectures avortées ; la trentaine était arrivée comme un traître frappant dans le dos. Il vivait ad nauseam la même histoire avec des filles belles de loin qui le flattaient de moins en moins, avec lesquelles il se trouvait de plus en plus vite à court de sujets de discussion. Il les quittait avec indifférence ; elles le lourdaient sans élégance ; certaines ne s’étaient pas même donné la peine de le prévenir et les appels répétés qui résonnaient dans le vide, les messages sans réaction et les portes fermées avaient répondu à ses questions.
Il savait que ses contemporains se faisaient vite une opinion, pour se délester du fardeau de la pensée, et il était fatigué de soigner sa présentation, veiller au timbre de sa voix, laisser une bonne première impression, dissimuler ses larmes de crainte de faire peur, veiller à ne pas rire trop fort au risque d’être perçu comme un gai luron sans profondeur, éviter les débats, ne pas s’exprimer sur la politique, s’assurer de n’offenser personne d’un poil trop émotif, ménager les susceptibilités d’êtres balourds qui, eux, ne prenaient jamais aucune précaution. Paul n’avait rien attendu de plus qu’une existence simple et joyeuse, une maison assez grande pour les amis de passage, quelques livres, une jolie femme intéressante qui vieillirait bien, de celles qui conversent sans se forcer et apprécient les taiseux, des enfants vifs et curieux, en bonne santé, qui eussent adoré les dinosaures ; le monde était devenu tel qu’il n’était plus possible que de mener des existences compliquées et ternes. Le monde avait été sali au point que s’en retirer était une libération. Marion Messina, La peau sur la table (Fayard, 2023).
En sillonnant la région, de larges champs dénudés et silencieux pareils à des regs de l’automne à l’été, il en avait soupé de l’idée de s’installer pas trop loin de Paris. Il avait vu des villes en ligne droite, sales, laides, occupées par des vendeurs de cuisines équipées et des concessionnaires d’automobiles. Les abords dégueulasses étaient marqués par de gigantesques panneaux publicitaires plantés dans les jardins des pavillons et des stations de lavage auto. Il avait travaillé dans des centres commerciaux mettant à disposition des consommateurs excédés des zones de jeux où ils pouvaient se délester des enfants. C’était un monde d’hédonistes sans plaisirs véritables, obsédés par l’aspect pratique des choses, prêts à sacrifier la dernière fleur des champs pour un parking.
Paul wäre lieber liegen geblieben, bis ihn der Hunger übermannte, als sich aus dem Schlummer zu reißen, dieses volle Bewusstsein seiner selbst, das er endlich auskostete. Er war nicht allein; er wurde vom Universum bewohnt; jedes Staubkorn hatte eine Bedeutung; die Regenwürmer waren an ihrem Platz (die Regenwürmer waren wunderschön, genauso wie die Käfer, die Ameisen und die Weichpilze); die Vögel sangen Psalmen; die Sterne verrieten sein Schicksal; alles schien perfekt zu sein — sobald er die Menschen ausblendete. Vielleicht war es wirklich so, dass die Menschen die Wächter der Hölle anderer Menschen waren, die sie selbst als Kerkermeister bewachten.
Die Passanten hatten Kapo-Attitüden, kleinliche Gesichter, die nur auf eine Gelegenheit warteten, sich in puren Sadismus zu verwandeln. Die Feindseligkeit war spürbar; die einen hassten die anderen; man hatte ihnen so oft gesagt, dass jeder für sich selbst verantwortlich sei. Familien wurden auseinandergerissen; Geschwister zu sein, hatte keinen Sinn; Kinder zogen ihre Freunde ihren Cousins vor — die Idee einer Familie war ihnen suspekt. In den Bussen hingen Zettel, die darum baten, höflich mit dem Busfahrer zu sprechen.
Es gab keine Revolte, geschweige denn ein Spektakel: Paul war es nicht möglich, ein T-Shirt mit der Aufschrift „Kann ich Ihnen helfen?“ zu tragen, ein kleines, glänzendes Schild daran zu heften, sich draußen der sauren Luft und den feindlichen Straßen zu stellen, um in einen quietschenden Vorortzug zu steigen, den Geruch von Pisse und Schweiß zu ertragen, die Gespräche der Fahrgäste zu ertragen, die hellen Lichter ihrer Telefone in den Mund zu nehmen, sie dabei zu beobachten, wie sie Buchstabengitter vervollständigen, die alle zehn Sekunden von pornografischen Werbungen verdeckt werden. Er hatte keine Schuldgefühle. Er war austauschbar; Demut machte ihn frei: Keine Maschine würde in seiner Abwesenheit blockieren, keine Lieferkette würde unterbrochen werden. Er würde nicht durch sein Ego manipuliert werden.
Paul würde keinen Psychologen aufsuchen. Es war keine psychische Entgleisung, kein Delirium; er hatte im Gegenteil verstanden, dass die Intelligenz wollte, dass er den Kurs änderte. Er fand nichts, was er seinen Eltern vorwerfen konnte. Seine Kindheit war sanft und liebevoll gewesen; er war auf einer Insel der Zärtlichkeit aufgewachsen. Er rechnete nicht damit, jemanden zu bezahlen, der mildernde Umstände für ihn gefunden hätte; er hatte kein Verbrechen, für das er sich entschuldigen musste; es gab nichts zu rechtfertigen.
Er sehnte sich danach, nichts zu tun, den Lauf der Zeit zu spüren, Gedichte zu lesen, seinen Kaffee in kleinen Schlucken zu trinken, in seinem eigenen Tempo zu gehen, ohne auf sein Handgelenk zu starren, seinen Geist von Software, Logins und Passwörtern zu befreien. Seine Sprache von vorgefertigten Phrasen und leeren Wörtern befreien, um dem Wort wieder einen Sinn zu geben. Er brauchte keinen Psychiater, der ihm half, das zu begraben, was ihm missfiel, um glücklich zur Arbeit oder zum Angeln nach einem Lektorat zurückzukehren. Er hatte seine Doktorarbeit nicht verteidigt, um die Arbeiten von Analphabeten zu korrigieren, die im dritten Jahr ihres Bachelorstudiums eingeschrieben waren. Er wollte nichts mehr. Das war alles andere als dramatisch.
Die Jahre waren in einem anmutigen Walzer aus zermürbenden Jobs, schwunglosen Liebschaften, Abenden auf der Couch, an denen er auf den Schlaf wartete, und misslungenen Büchern vergangen; die 30er waren wie ein verräterischer Schlag in den Rücken gekommen. Er erlebte bis zum Überdruss die immergleiche Geschichte mit Mädchen, die von weitem gut aussahen, ihm immer weniger schmeichelten und mit denen ihm immer schneller die Gesprächsthemen ausgingen. Er verließ sie gleichgültig; sie belasteten ihn ohne Eleganz; einige hatten sich nicht einmal die Mühe gemacht, ihn vorher zu warnen und die wiederholten Anrufe, die ins Leere hallten, die Nachrichten ohne Reaktion und die geschlossenen Türen hatten seine Fragen beantwortet.
Er wusste, dass seine Mitmenschen sich schnell eine Meinung bildeten, um sich die Last des Denkens abzunehmen, und er war es leid, auf seine Selbstpräsentation zu achten, auf den Klang seiner Stimme zu achten, einen guten ersten Eindruck zu hinterlassen, seine Tränen zu verbergen, weil er Angst hatte, Angst zu erregen, darauf achten, nicht zu laut zu lachen, um nicht als seichter Spaßvogel wahrgenommen zu werden, Debatten vermeiden, sich nicht über Politik äußern, sicherstellen, dass er niemanden beleidigt, der zu emotional ist, die Empfindlichkeiten von plumpen Wesen schonen, die nie irgendwelche Vorsichtsmaßnahmen trafen. Paul hatte sich nichts sehnlicher gewünscht als ein einfaches, fröhliches Leben, ein Haus, das groß genug für Freunde auf der Durchreise war, ein paar Bücher, eine hübsche, interessante Frau, die gut altern würde, die sich ungezwungen unterhält und Schweiger mag, lebhafte, neugierige, gesunde Kinder, die Dinosaurier geliebt hätten; die Welt war so geworden, dass es nur noch möglich war, ein kompliziertes und langweiliges Leben zu führen. Die Welt war so schmutzig geworden, dass es eine Befreiung war, sich von ihr zurückzuziehen.
Als er durch die Gegend fuhr — weite, kahle und stille Felder, die von Herbst bis Sommer wie Wüstenfelder aussahen — hatte er die Idee, sich nicht zu weit von Paris entfernt niederzulassen, satt. Er hatte geradeaus verlaufende, schmutzige, hässliche Städte gesehen, die von Verkäufern von Einbauküchen und Autohändlern besetzt waren. Die schmuddeligen Außenbezirke waren von riesigen Werbetafeln geprägt, die in die Gärten der Pavillons und Autowaschanlagen gepflanzt waren. Er hatte in Einkaufszentren gearbeitet, in denen es Spielzonen gab, in denen die überforderten Verbraucher ihre Kinder loswerden konnten. Es war eine Welt von Hedonisten ohne echte Freuden, die von der Zweckmäßigkeit der Dinge besessen waren und bereit waren, die letzte Blume auf dem Feld für einen Parkplatz zu opfern. 1
Kai Nonnenmacher
- „In einem Frankreich, das sich in einem Zustand extremer Anspannung befindet, verfolgt La peau sur la table die Wege mehrerer Personen, die bis dahin nichts verband, die aber durch das Scheitern eines auf Individualismus basierenden Systems gezwungen werden, neue Solidaritäten zu erfinden.
Sabrina, alleinerziehende Mutter und Lehrerin unter Druck, verliert im Unterricht die Nerven und spürt, wie sich ihr Schicksal wendet.
Paul, der einen Doktortitel in vergleichender Literaturwissenschaft besitzt, hat es aufgegeben, prekären Stellen an der Universität hinterherzujagen, um Metzger in einer abgelegenen Ecke der Ardèche zu werden.
Dort lernt er Aurélien kennen, einen Bauern, den die Absurdität der Verwaltung und die kapitalistische Schröpfung unaufhaltsam in den Bankrott treiben.
Um sie herum brennt Frankreich. Der spektakuläre Selbstmord eines Studenten vor der Nationalversammlung hat von einem Ende des Landes bis zum anderen eine riesige Wut ausgelöst. Es dauert nicht lange, bis die Armee die Bühne betritt.
Das System ist am Ende, aber es hält durch. Es verwaltet weiterhin einen Menschenbestand, der nur allzu schnell bereit ist, Freiheit gegen die Illusion von Sicherheit einzutauschen.
Wie lange noch?Marion Messina hat nach verschiedenen Berufen, u. a. in der Landwirtschaft, einen viel beachteten ersten Roman, Faux départ (Le Dilettante, 2017), veröffentlicht.“ Übers. der Verlagsankündigung.>>>